Examen de la proposition de loi sur le Narcotrafic : Davantage de moyens et de politiques de prévention demeurent nécessaires

L’Assemblée nationale a examiné en séance publique, à compter du 17 mars dernier, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

J’ai été désignée responsable de ce texte par mes collègues du groupe socialistes et apparentés.

Cette proposition de loi transpose en grande partie les recommandations formulées dans le cadre du rapport de la commission d’enquête créée par le Sénat en novembre 2023 « sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier ». 

Ce rapport, publié le 14 mai 2024, a donné lieu en juillet 2024 au dépôt de ce texte signé par Jérôme DURAIN (sénateur socialiste) et Etienne BLANC (sénateur LR).

Un texte particulièrement dense

Toutefois, de 24 articles, le texte est passé à 48 : c’est donc un texte particulièrement dense que nous avons dû examiner avec près de 900 amendements.

Nous avons donc siégé pendant plus d’une semaine en séance de jour comme de nuit pour examiner ce texte.

Sur la forme, je regrette sincèrement l’utilisation d’une proposition de loi et non d’un projet de loi, pour traiter un sujet aussi important que la lutte contre le trafic de drogues.

Alors qu’elle modifie le droit pénal et le code de procédure pénale, cette proposition de loi n’a pas bénéficié d’une étude d’impact ou encore moins d’une analyse approfondie du Conseil d’État.

C’est particulièrement regrettable.

Sur le fond, la lutte contre le trafic de drogue est un combat légitime et nécessaire.

Dans le chemin pour y parvenir, nos points de vue peuvent diverger.

Notre pays doit se doter de moyens modernes, renforcés et surtout efficaces.

Cette lutte ne doit pas se faire au détriment de nos libertés et de nos droits.

Dans un État de droit, défendre avec exigence les libertés fondamentales n’est d’ailleurs pas synonyme de laxisme ou de naïveté : c’est une exigence.

Plusieurs amendements déposés, tous rejetés

Le groupe socialistes et apparentés a déposé plusieurs amendements pour tenter de concilier la légitime lutte contre le trafic de drogues et le respect de nos libertés fondamentales mais ces amendements ont tous été rejetés.

Sans faire une liste à la Prévert, plusieurs dispositions sont particulièrement problématiques et justifient une saisine du Conseil constitutionnel :

  • l’article 23 quinquies, introduit par le Gouvernement, rétablit les quartiers haute sécurité dans les prisons: ce régime pénitentiaire, par sa rigueur extrême, conduit invariablement à un processus qui détruit toute humanité, réduisant la peine à des châtiments et occultant l’essentiel.
  • l’article 16 crée le « dossier coffre » ou « procès-verbal distinct» destiné à dissimuler des éléments de l’enquête en les soustrayant aux avocats. Concrètement, dans le dossier d’instruction, certains procès-verbaux seront mis sous coffre. Ils ne seront accessibles qu’aux enquêteurs et aux procureurs mais plus aux avocats ni donc à leurs clients. Ce dossier-coffre est prévu en matière criminelle mais aussi douanière. Cette disposition constitue une atteinte au principe du contradictoire, aux droits de la défense et une possibilité donnée aux enquêteurs de cacher des méthodes « border line » … et surtout des méthodes largement utilisées dans des régimes dictatoriaux.

La proposition de loi prévoit également la prolongation de la garde à vue à 120h pour les « mulles », la possibilité d’activer à distance des appareils fixes (domotiques) et des appareils mobiles, ou encore l’expulsion locative par le Préfet pénalisant les familles…

Fort heureusement notre assemblée a rejeté dans des conditions rocambolesques le célèbre article 8 TER, qui obligeait les messageries cryptées comme WhatsApp ou Telegram de permettre aux services de renseignement d’accéder à certains échanges.

Chacun a pris ses responsabilités

Les dispositions les plus liberticides de ce texte n’ont été votées que grâce aux voix du RN très mobilisé face à un bloc central absent à la fois de la commission des lois, de la séance et des débats … chacun a donc pris ses responsabilités.

Seules quelques dispositions vont dans le bon sens : Parquet national, mise en réseau des JIRS, fermetures d’établissements qui servent de couvertures au trafic, confiscations, gels des avoirs, saisies, lutte contre le blanchiment, renforcement du renseignement, statut du repenti, recours aux informateurs…

La lutte contre le trafic ne sera vraiment efficace que par une augmentation très significative des moyens matériels et humains, mais aussi en développant des politiques offensives de prévention.